Cette semaine nous vous présentons un chef d’entreprise visionnaire et certes déjà bien connu du milieu de l’IA à Montréal mais aussi dans le monde. Philippe Beaudoin a fondé Waverly il y a deux ans. Nous lui avons posé quelques questions sur son parcours et l’arrivée de Waverly.
Certains d’entre nous connaissent déjà ton parcours, comment te décris-tu aujourd’hui comme CEO ?
Je me décris généralement comme un entrepreneur/chercheur. Mon background est en informatique. J'ai fait un doc et un postdoc en "computer graphics" à l'Université de Montréal et à UBC. Pendant et après mes études, j'ai lancé des entreprises, contribué à des projets open source, travaillé comme ingénieur logiciel incluant 5 ans chez Google qui m'a énormément appris. Ce sont Nicolas Chapados et Yoshua Bengio qui m'ont convaincu de quitter Google pour cofonder Element AI où j'ai passé quatre ans à bâtir différents groupes, dont le groupe de recherche appliquée.
Le fil conducteur, à travers tout ça, c'est la relation étroite que j'ai toujours entretenue avec le monde de la recherche. C'est là que je suis le plus heureux : un pied dans la "business", un pied dans la recherche. J'adore faire le pont entre les idées flyées des chercheurs et la manière de traduire ces idées dans un produit bien réel dont les gens ont besoin mais, surtout, qui ont des bénéfices positifs pour la société.
Waverly, c'est d'ailleurs l'exemple parfait du produit qui se situe à cheval entre les idées des chercheurs et les besoins des utilisateurs.
Peux-tu nous expliquer comment t'es venu l'idée de développer un outil comme Waverly ?
Chez Google, je travaillais sur l'engin de recommandation qui alimente la page d'accueil de Chrome. On a fait plusieurs expériences avec des algorithmes différents pour choisir les liens qui seraient proposés aux utilisateurs sur cette page. Le feedback qu'on recevait était aussi varié que celui de nos utilisateurs : certains souhaitaient être plus souvent surpris, d’autres souhaitaient toujours voir les mêmes suggestions...
On tranchait en regardant l'utilisation. Les liens qui étaient plus souvent visités par l'utilisateur finissaient par se tailler une place sur la page d'accueil. La devise était "regardez ce que font les gens, n'écoutez pas ce qu'ils disent".
Je trouvais qu'il y avait un problème avec cette logique. Quand je regardais mes propres comportements avec la technologie, je remarquais qu'ils s'éloignaient parfois des comportements que je souhaitais adopter. Je passais du temps sur une plateforme alors que j'aurais souhaité faire autre chose.
Chez Element AI, j'ai beaucoup travaillé sur l'IA pour la reconnaissance de la langue naturelle. C'est ce qui m'a donné l'idée d'utiliser le langage pour exprimer les intentions qu'on a face à un système de recommandation. En développant Waverly, les outils de compréhension de la langue naturelle se sont améliorés et on a rapidement vu que cette idée avait des jambes.
Quels sont les grands enjeux auxquels tu t'intéresses présentement et qui touchent les organisations ?
Un des enjeux principaux des organisations, c'est de parvenir à se concentrer sur l'information pertinente étant donné l'océan d'information qu'est devenu l'Internet.
Le problème est exacerbé par le fait que la plupart des plateformes utilisées pour faire face à ce flot d'informations (Twitter, LinkedIN, Google, YouTube...) sont des plateformes publicitaires dont l'objectif est de capter et de conserver l'attention des utilisateurs. La meilleure façon de capter l'attention de quelqu'un n'est souvent pas de leur présenter l'information pertinente, mais du contenu qui les distrait. Des titres accrocheurs, des images intrigantes...
Ces mécanismes pour capturer l'attention des gens vont à l'encontre de la démarche intentionnelle que les entreprises souhaitent mettre en place pour extraire de la valeur de l'information extérieure.
Waverly est l'antidote idéal pour remédier à ce problème. En permettant aux professionnels d'indiquer clairement leur intention, Waverly devient un allié dans la lutte contre le bruit et les distractions.
Tu publies présentement une wave sur le "creative leadership". Peux-tu nous dire comment Waverly t'aide à développer tes connaissances là-dessus ?
Waverly me présente quotidiennement des informations sur une panoplie de sujets que je trouve pertinents autant pour la croissance de mon entreprise que pour mon développement personnel et professionnel. Ma wave creative leadership est géniale pour attirer régulièrement mon attention sur des questions de leadership qui me paraissent importantes.
Par exemple, si je la regarde à l'instant, j'y trouve : "Developing Teams That Have Strong Relationships", "The problem with idea competitions", "How and why Ph.D.s can succeed in business"... Je n'aurai pas le temps de lire tous ces articles en entier, mais de les avoir dans mon environnement quotidien et d'en lire de courts extraits me place dans le bon mindset pour réfléchir aux défis auxquels je fais face comme chef d'entreprise.
Parce que mon attention est tournée plus fréquemment vers des questions de leadership importantes, je prends plus souvent le temps de m'y plonger. De temps à autre, je vais lire un article qui me paraît particulièrement pertinent, je vais souligner les passages intéressants, et je vais les partager avec les gens autour de moi qui, à travers leurs conversations, m'aident à réfléchir aux questions importantes.
Encore mieux : en rendant ma wave "creative leadership" publique, j'ai pu identifier d'autres utilisateurs de Waverly qui s'intéressent au leadership avec une philosophie similaire à la mienne. En augmentant le bassin de gens autour de moi qui réfléchissent aux enjeux que je considère importants, je sens que je progresse beaucoup plus rapidement dans ma compréhension de ces enjeux.
Quelles sont tes observations vis-à-vis de la neutralité et de la véracité des informations ?
C'est une question très difficile. Tout ce qu'on consomme a un certain biais, au minimum, dans l'exposition qui nous est faite. C'est aussi de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux mais, surtout, du partiellement vrai manipulé de manière à générer une idée ou une émotion".
Je ne crois pas qu'on puisse faire un outil pour "valider la neutralité" ou "déterminer la vérité" du contenu qu'on consomme quotidiennement. Ce qu'on peut faire, cependant, c'est se créer un environnement où les informations qui nous atteignent sont moins susceptibles de présenter des biais néfastes.
Pour y arriver, il faut des fils où le contenu n'est pas sélectionné pour sa capacité à détourner notre attention, mais à l'attirer vers un élément qu'on sera naturellement porté à considérer, sans réfléchir.
Mon expérience avec Waverly, c'est que le fil plus intentionnel qu'il me permet de créer contient naturellement moins de ces nouvelles accrocheuses et fortement biaisées contre lesquelles je dois régulièrement lutter sur les fils de contenu de mes réseaux sociaux.
L'intelligence collective étant de plus en plus un enjeu au sein des entreprises, comment Waverly agit-t-il ?
Ce que j'entends par intelligence collective, c'est la capacité d'un groupe de gens à s'aider mutuellement à dénicher l'information qui les rejoint. S'aider les uns les autres à "prendre soin de leur attention" en se créant un environnement collectif où le contenu est aligné avec les intentions de chacun.
À travers ses waves, Waverly permet précisément à des gens qui partagent les mêmes valeurs de collaborer — avec l'assistance d'une IA — à la création d'un fil de contenu pertinent dont le contenu reflète les objectifs du groupe.
Tous les participants à une wave en deviennent les curateurs. En utilisant l'application, ils indiquent quels articles sont pertinents et quels articles le sont moins. L'IA de Waverly est constamment à l'écoute du feedback de ces curateurs et s'en sert pour améliorer le contenu qui sera proposé dans le futur — toujours en favorisant la transparence.
Une communauté de curateurs Waverly devient donc une véritable source d'intelligence collective. Un cercle vertueux qui crée un espace où les gens aiment retourner autant pour découvrir du contenu aligné avec leurs objectifs que pour contribuer à enrichir leur environnement collectif.
3 octobre 2022